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Pour illustrer ce monde de l'incertain dont je vous ai parlé dans de précédents articles, j'ai rédigé il y a quelques temps déjà, une série pour le moment de 8 haïkufables, qui évoque l'empire des Sombres, c'est-à-dire un monde post apocalyptique où l'incertain est en quelque sorte la norme. J'entreprends aujourd'hui leur republication
Après
Vers le bourg voisin
http://fablehaikus.over-blog.com/2013/10/voyage-dans-les-brumes-de-l-%C3%AEle-de-l-incertitude.html
L'inspection
http://fablehaikus.over-blog.com/2013/10/dans-la-toile-d-araign%C3%A9e-du-probable-incertain.html
Le protocole
http://fablehaikus.over-blog.com/2013/10/au-carrefour-des-possibles-incertains.html
Les intrus
http://fablehaikus.over-blog.com/2013/11/dans-l-empire-des-sombres.html
La digue
http://fablehaikus.over-blog.com/2013/11/dans-l-empire-des-sombres-la-digue.html
Voici aujourd'hui
En descendant le fleuve de sable friable du temps
*
C'est dans l'après-midi que l'énorme vague arriva Dans un fracas de forge cyclopéenne Elle charriait des pans entiers de la digue et de maisons des faubourgs Amplifiant sa rage de destruction Elle courut sur une grande partie de la contrée Lorsqu'elle se retira elle ne laissa qu'un cimetière bas de squelette de maisons
*
En descendant le fleuve de sable friable du temps
*
A l'automne de gros nuages noirs annonciateurs d'une pluie de cendres
Arrivèrent sur la contrée en provenance de la mer des cendres
Pendant plusieurs jours ils roulèrent dans le ciel obscurci
Jouant les titans musculeux
*
Les oiseaux disparurent de la contrée
Les rats en longue procession gagnèrent le nord
Les habitants se hâtèrent de rentrer leurs récoltes et de faire des provisions
Les voyageurs sur leurs glisseurs profitèrent des vents favorables pour s'éloigner le plus possible
*
Puis les vents se calmèrent
Le ciel s'assombrit
Un silence morne s'établit
Et la pluie arriva
*
Il ne fut plus possible de quitter son habitation
La pluie parvenue de la mer des cendres étant empoisonnée
Les habitants par expérience savaient qu'ils devaient calfeutrer toutes les issues de leur demeure
En aucun cas s'aventurer dehors
*
Les jours stagnèrent
La pluie ne cessait pas
Déjà les cours d'eau de la contrée avaient quitté leur lit
Leurs crues envahirent les villages
*
Ces inondations provoquèrent l'effondrement des maisons les plus anciennes
Et les plus proches des régions inondables qui n'avaient point été construites sur pilotis
Comme les autorités de l' Empire des Sombres l'avaient recommandé
Mais non point ordonné dans un souci de libéralisme
*
Il n'était pas possible tant que la pluie continuait
De venir au secours des habitants sinistrés
Il fallait prendre son mal en patience
Du moins on était certain que la digue empêcherait un tsunami venu de la mer des cendres
*
De tout emporter dans sa rage monstrueuse
Les experts de l'empire étant formels
La digue avait été construite en tenant compte des précédents tsunamis
Il n'y avait donc pas de danger
*
La pluie s'arrêta d'un coup
Prudents les habitants attendirent plusieurs jours
Avant de s'aventurer hors de leur demeure
Un silence très lourd régnait
*
Une odeur de décomposition s'installa
Qui piqua les muqueuses des premiers habitants sortis
Une boue cendreuse avait tout recouvert comme un
Linceul sale
*
Du moins pensèrent les habitants cette boue faciliterait les nouvelles récoltes
Peu à peu l'activité reprit
C'est dans l'après-midi que l'énorme vague arriva
Dans un fracas de forge cyclopéenne
*
Elle charriait des pans entiers de la digue et de maisons des faubourgs
Amplifiant sa rage de destruction
Elle courut sur une grande partie de la contrée
Lorsqu'elle se retira elle ne laissa qu'un cimetière bas de squelette de maisons
*
On compta par dizaines de milliers les morts
Tout avait été emporté détruit
La plus grande partie de la contrée se révéla contaminée
Il y en avait pour plusieurs siècles avant qu'elle soit de nouveau habitable
*
Ordre fut donné par les autorités de l'Empire d'établir un périmètre interdit à toute activité
Les habitants survivants seraient relogés dans les contrées limitrophes
Un permis de séjour leur serait alloué et
Pour ceux qui avait perdu leurs papiers des papiers d'identité provisoires
*
En effet l'état civil des tous les bourgs et villages avait disparu
Ceux qui n'y étaient pas nés étaient priés de faire parvenir au plus tôt aux autorités
Les extraits de naissance et de séjour indispensables
Pour obtenir de nouvelles pièces d'identité définitives
*
Quant aux autres ils furent convoqués devant les tribunaux
Et sous serment ils déclinèrent leur état civil
Quand ils purent assortir cette déclaration de deux témoignages
Ils acquirent leur papiers définitifs
*
Les autres les plus nombreux
N'obtinrent que des documents provisoires
Les juges leur firent comprendre qu'ils n'avaient pas intérêt à mentir
Comme il était certain que quelques uns s'y aventureraient
*
Des enquêtes minutieuses seraient lancées
Gare aux contrevenants
Ces papiers provisoires au fur et à mesure des enquêtes
Deviendraient définitifs
*
Dans combien de temps
Les juges ne le précisèrent pas
Mais nul n'ignorait la lenteur des enquêtes dans l'empire des Sombres
Autant que leur minutie
*
Vocatus telextern
Fit parti des habitants qui ne purent assortir leur déclaration d'identité sous serment
Des deux témoignages requis
Il n'obtint donc qu'une carte provisoire de séjour à Valanprax
*
Il lui fallut deux jours pour s'y rendre depuis le centre d'hébergement
Où il avait passé plusieurs semaines en transit
L'accueil des habitants comme il s'y attendait fut très froid
Il sentit bien qu'on le considérait comme un intrus
*
Heureusement pour lui le bourg avait besoin d'un aide forgeron
Il fut donc accepté pour remplir cette fonction
D'autant que le forgeron était un vieil homme perclus de rhumatismes
Appartenant à la caste des non-conformes du fait de ses mains palmées
*
Ce qui facilita ses rapports avec cet homme habitué à être rejeté et méprisé
Et lui permit pour son logement de ne pas recourir à une location dans le bourg
Mais de s'installer dans le petit atelier attenant à la forge municipale
Qu'il occupait
*
Au début il espéra recevoir assez vite ses papiers définitifs d'identité
Ce qui aurait rendu sa vie plus simple et lui aurait permis pourquoi pas de solliciter
De s'installer dans une ville où les étrangers étaient moins susceptibles d'un rejet
Mais en vain
*
Comme il ne recevait rien
Il alerta les autorités
Il envoya plusieurs courriers qui restèrent sans réponse
Il se décida même à se rendre au siège du tribunal
*
Il se heurta après plusieurs jours de tergiversations
A une fin de non recevoir
Il dut rentrer
D'autant que son maître forgeron était au plus mal
*
Il mourut en quelques jours
Rongés par ce mal mystérieux mais commun
Qui abrégeait la vie des habitants de la contrée
Contrairement à son espoir il ne fut pas choisi par la municipalité
*
Pour occuper la fonction de forgeron
Cela n'était pas possible
Puisqu'on ne savait pas qui il était
On choisit toujours dans la caste des non-conformes une chitineuse
*
Lorsqu'elle se présenta à la forge
Vocatus Telextern ne put réprimer un mouvement de recul
Elle semblait très jeune
Sa peau chitineuse noire brillait comme un miroir
*
Elle se rendit compte de son mouvement de recul
Mais il estima qu'elle lui laissait une chance en lui tendant la main
S'il la saisissait et qu'il réussissait à ne pas faire preuve de répulsion
Leurs rapport pourraient se nouer de manière satisfaisante
*
Il serra la main tendue
En éprouvant une agréable sensation de douceur et fraîcheur
Elle sourit en lui souhaitant le bonjour
Vous n'êtes pas trop déçu demanda-t-elle
*
De quoi fit-il d'une voix enrouée par la crainte de l'avoir blessée par son mouvement de recul
De mon arrivée répondit-elle je me doute que vous deviez espérer le poste
Il décida d'être franc avec elle et de ne pas nier cette évidence
Ce qui constatait-il avec soulagement oblitérait celle de sa première répulsion
*
Elle ôta sa coiffe
Il marqua un moment d'étonnement qui le fit se traiter intérieurement d'imbécile
Comme tous les non-conformes à peau chitineuse elle était dépourvue de tout système pileux
Il aurait dû s'y attendre il était de nouveau confus
*
Elle ne remarqua pas cet étonnement ou du moins ne s'en formalisa-t-elle pas
Elle lui demanda de lui montrer l'atelier
Elle apprécia la forge et les instruments parfaitement entretenus
Il lui indiqua le calendrier des travaux
*
Elle lui fit savoir qu'elle commencerait le lendemain
En attendant elle en profiterait pour s'installer dans le logement qui lui était attribué au bourg
Elle s'étonna de ce qu'il n'y habitât pas
Il lui indiqua sa situation administrative
*
Je comprends dit-elle
Elle quitta l'atelier en direction de son logement à quelques centaines de mètres de la forge
Le lendemain aux premières heures elle commença son travail
Elle apprécia le fait qu'il ait allumé le foyer
*
Elle le fit ronfler en actionnant le soufflet
Au-delà de ce qu'il avait l'habitude de faire
Il comprit que cette chaleur puissante ne l'importunait pas
Pourquoi les non-conformes à peau chitineuse occupaient ce type d'emploi
*
Le jour passa en une heure
Il ne comprit pas pourquoi son cœur s'alourdit vers la tombée du jour
Pourquoi il fut comme un enfant perdu tout le soir
Pourquoi la nuit fut si longue
*
Pourquoi il salua les premières lueurs du jour avec espoir
Pourquoi son cœur s'allégea et se lança dans une course accélérée
lorsqu'il aperçut la silhouette de Charmene qui s'encadrait dans l'entrée de la forge
Le jour passa en une heure
*
Les jours passaient en une heure
Les nuits s'attardaient indéfiniment
Il suffisait qu'il entrevît la silhouette de Charmene s'encadrant dans l'entrée de la forge
Pour que le temps se précipite seconde par dessus minute minute par dessus heure
*
Il lui sembla qu'à la tombée du jour
Charmene ralentissait ses gestes comme si elle ne voulait plus achever le travail programmé
Comme si elle espérait comme lui que ce jour fût sans fin
Pour qu'ils ne se séparassent pas pour la nuit
*
Les jours passaient en une heure
le printemps passa en coup de vent
l'été ne fut qu'un souffle
l'hiver à peine un rêve
*
Les jours passaient en une heure
Les années comme un mirage
Oserait-il lui demander de vivre ensemble
Pouvait-il espérer une réponse positive
*
La seule pensée qu'elle puisse dire non
En faisait un pantin désarticulé
Incapable du moindre sentiment autre
Qu'une douleur sans fin
*
Allait-il oser
Le fait qu'elle ralentisse ses gestes de forgeronne
Quand le soleil se mettait à décliner
Était-il un signe d'encouragement
*
Au moment de se séparer pour ces nuits interminables
L'abandon de sa main si fraîche dans la sienne
Son regard écarquillé d'accueil lumineux
Étaient-il des signes qu'elle n'était plus qu'attente de sa demande
*
Allait-il oser
Alors que les années passaient comme un prélude à une vraie vie
Qu'il n'était plus devant elle que son souffle
Son âme pantelante
*
Les jours passaient à la volée
Les automnes comme envol d'une feuille
Les printemps en coup de vent
Les étés comme songe d'une nuit
*
Les hivers comme un nuage dissipé par un souffle
Les années comme un mirage
Un prélude à une autre vie
L'abandon de sa main si fraîche dans la sienne
*
Son regard écarquillé d'accueil lumineux
Étaient-ils des signes
De cette autre vie qu'il espérait vivre avec Charmene
Allait-il oser
*
Avant qu'il eut terminé sa phrase si longtemps préparée
Il sut la réponse
Alors les nuits passèrent comme les jours
En une heure
*
Des nuits où il se rafraîchissait interminablement à la fraîcheur de sa peau
Qui contrastait avec la douceur et la chaleur
De l'intérieur de son ventre
Dans lequel il plongeait comme dans une mer immense
*
Les jours couraient les uns derrière les autres
Finissaient par se rattraper se fondre
En un seul moment de bonheur
En une éternité sans retour ni demain
*
Les automnes passaient comme envol d'une feuille
Les printemps en coup de vent
Les étés comme songe d'une nuit
Les hivers comme un nuage dissipé par un souffle
*
Elle lui demanda s'il désirait un enfant
Ils étaient dans leur clairière de la nuit
Il fut enveloppé dans une bulle de vin de roses de jasmin de miel
Dans une éternité sans retour ni demain
*
Il ne sut quoi dire
Elle s'inquiéta
Je n'aurais pas du
Dit de sa voix hésitante
*
Il sortit de son enchantement
Pressa son corps à la peau si fraîche
Murmura à son oreille
Un oui qui voleta autour d'eux dans leur clairière de la nuit
*
Il fallait une autorisation spéciale pour qu'un conforme enfante avec une non-conforme
Sous peine que l'enfant ne soit enlevé à ses parents pour être étudié
Et euthanasié si ses écarts par rapport à la norme
Se révélaient trop importants
*
Cette autorisation ne pouvait lui être accordé que par les autorités centrales de l'Empire
Il lui fallait donc entreprendre un voyage jusqu'à la métropole de la contrée
Il ne perdit pas de temps et se mit en route dès le lendemain
Sur la route il se retourna pour regarder une dernière fois Charmene
*
Elle était dans l'encadrement de l'entrée de la forge
Dont il apercevait le foyer rougeoyant
Il fut plongé dans un tourbillon de sentiments contraires
Il n'osa pas lui faire un signe
*
Elle non plus
Puis le temps se remit en marche
Le soir venu il coucha dans un refuge
Ne cessa d'être dans cette clairière de la nuit où ils se retrouvaient après avoir fait l'amour
*
Le lendemain il reprit la route
Au passage d'un pont qui enjambait la rivière Erdemack
Il fut contrôlés par des agents de l'Empire
Il fut arrêté
*
On le transporta à la prison du district
Afin d'interrogatoire
Comment se faisait-il qu'il n'avait toujours pas après tant d'années ses papiers définitifs
Mais ceux qu'ils portaient depuis longtemps périmés
*
Il répondit que tout à son travail
Il n'avait plus songé à relancer l'administration impériale
Celle-ci l'ayant assuré que sa demande avait été prise en considération
Avait-il ce document
*
Malheureusement non
Il n'était pas possible de le relâcher tant qu'il ne montrerait pas ce document
Comment pourrait-il alors montrer sa bonne foi
Ne pourrait-on pas aller le chercher chez lui dans son village
*
Il n'en était pas question
Les agents des autorités impériales n'étaient pas à la disposition des contrevenants
Surtout s'ils ne pouvaient prouver leur identité
Pourrait-on le laisser rentrer chez lui pour prendre ce document
*
Ce n'était pas possible de relâcher dans la nature un individu suspect
Depuis quelques temps on signalait dans la contrée des maraudeurs
Qui s'en prenaient aux citoyens honorables
Les torturaient pour leur extorquer leur maigres économies
*
N'en faisait-il pas parti
Dans ce cas fit-il admettre il aurait été muni de faux papiers
On le présenta au juge de district pour statuer
Celui-ci le condamna à une peine de travaux forcés de trois ans
*
Il obtint l'autorisation de prévenir Charmene pour qu'elle ne s'inquiétât pas
Au bout de six mois il fut relâché
Charmene avait apporté le document
Mais elle n'avait pas eu l'autorisation de le voir
*
Elle avait été contrainte de rentrer sans délai dans son village
Les membres de la caste des non-conformes n'étant pas autorisés à quitter plus de trois jours
Le lieu où ils avaient autorisation de s'installer
Il partit sans délai pour la métropole
*
Il lui fallut une semaine pour l'atteindre
Là une employé de l'Empire peu amène lui apprit que toutes les archives d'état-civil
Avaient été transférées dans la capitale de l'Empire
Que s'il désirait régulariser sa situation administrative il devait s'y rendre
*
De toutes façons pensa-t-il pour obtenir l'autorisation d'avoir un enfant avec Charmene
Il devait s'y rendre il ferait ainsi d'une pierre deux coups
Il repartit pour la capitale
Il avait un peu d'argent et put prendre un billet de quatrième classe dans un glisseur public
*
Qui faisait la navette entre les métropoles de région et la capitale de l'empire
Le voyage dura un peu plus de quatre mois en raison de vents souvent contraires
Les glisseurs publics ayant pour seule énergie le vent
Leur voile carrée ne leur permettait d'avancer que par vent arrière
*
Il arriva le soir
Il ne put trouver d'hébergement et dormit à la belle étoile
Il fut réveillé par des cris dans la nuit
Un voyageur comme lui dormant à la belle étoile venait d'être dépouillé de tout ses biens
*
Il ne ferma plus l'œil de la nuit
Aux aguets avec la fraîcheur de la peau de Charmene sur sa peau
Au matin il dut faire la queue pour obtenir un laisser passer pour entrer dans la capitale
Lorsque après plusieurs heures d'attente il parvint au guichet il n'obtint pas l'autorisation
*
Toujours pour ce même motif d'absence de carte d'identité
Il eut beau montrer le document officiel spécifiant qu'il avait bien fait une demande de carte
L' agent chargé de la délivrance des autorisations fit valoir son rang subalterne pour son refus
Il n'avait qu'à attendre la venue de son supérieur hiérarchique
*
Quand arriverait-il
Il n'y avait pas de réponse assurée
Peut-être aujourd'hui peut-être demain
Ou bien dans une semaine
*
Pourquoi pas un mois fit amer Vocatus Telextern
Il ne croyait pas si bien dire
Souvent il fallait attendre un mois voire plus pour que son chef daignât
Se souvenir de cette entrée de la capitale qui était secondaire
*
Vocatus trouva une place pour dormir dans l'asile tenu par la confrérie des Pénitents Rouges
Seule obligation assister à la cérémonie matinale où
La foule des pénitents devaient se repentir de ses fautes
En récitant la prière d'abomination de la science plus particulièrement de la physique
*
Surtout de la physique N...
Le mot ne devait pas être prononcé ni écrit
Il était remplacé par le nonagramme PHySqnCLr
Que tu sois maudite PhySqnCLr
*
C'est au bout de 17 jours que le chef de la porte arriva
Il n'avait pas le temps d'étudier la question
Il ne pouvait accorder l'autorisation d'entrer
Il en référerait à son supérieur hiérarchique
*
Cela prendrait-il combien de temps
Au minimum trois mois
Il était pressé
Mais son cas n'était pas unique
*
l'Empire était immense
Qu'il prenne patience
Tous les matins Vocatus se rendait à la porte
Il apercevait la foule ininterrompue de voyageurs qui entraient et sortaient quotidiennement
*
Pourquoi ne tentait-il pas sa chance
Pourquoi ne se fondait-il pas dans cette foule
Il sut qu'une fois entré il risquait s'il était contrôlé sans autorisation la mort
Sous le chef d'inculpation de terrorisme
*
Prudent il renonça
Tous les matins il continuait de se rendre à la porte
Pour vérifier si son autorisation était arrivée
Puis il regagnait les abords de l'asile avec la foule bigarrée de tous les membres de l'empire
*
Qui comme lui conformes ou non-conformes
Avaient à faire dans la capitale
Les jours coulaient lentement
Seconde après secondes minute après minute heure après heure
*
Mais une fois écoulé ils disparaissaient
Impossible à retenir du fait de leur vide
Au bout de quelques mois ou de quelques années il avait l'impression qu'il venait d'arriver
Cela le rassurait seule la distance le séparait de Charmene mais pas le temps
*
Il lui fut donc impossible de savoir quand il obtint l' autorisation d'entrer dans la capitale
Au bout d'un mois de six mois d'une année
Voire beaucoup plus
L'important était qu'il avait franchi un premier obstacle
*
Il se rapprochait de son possible retour de ses retrouvailles avec Charmene
Qui occupait en permanence ses pensées
Il se rendit sans tarder au bureau central des identités
Une énorme pyramide dont on disait qu'elle était en construction depuis des dizaines d'années
*
Qui n'était toujours pas achevée
On pouvait apercevoir les échafaudages en bambous qui se perdaient dans les hauts brumeux
Où s'activaient une multitude d'ouvriers
On racontait que les travaux avaient été ralentis par de multiples effondrements
*
Dus à de mauvais calculs de la part des architectes
Ou bien à des malfaçons explicables par la corruption de certains entrepreneurs
Qui avaient payé de leur vie leurs errements
Mais à voix basse on parlait de malédiction
*
De la vengeance des dieux
De ces mêmes dieux qui autrefois avant l'Empire
Avaient coupé par le milieu les membres de l'ancienne humanité pour la punir
Et séparer leur partie féminine de leur partie masculine
*
Les membres de cette secte étaient impitoyablement poursuivis torturés
Crucifiés la tête en bas
On pouvait voir leur crucifix à certains carrefours
Pour que nul n'en ignore
*
Avec l'inverse résultat d'augmenter le nombre de ses adeptes au lieu de le diminuer
Vocatus en pénétrant dans l'immense salle des pas perdus
Fut submergé par un brouhaha énorme renforcé par son écho contre les parois de marbre
Il était perdu où aller comment traverser cette foule qui avançait lentement vers un bout de la salle
*
Après plusieurs heures il aperçut le guichet d'accueil protégé par des chaînes
Un voisin lui appris que pour avoir la possibilité d'y faire enregistrer sa demande
Il devait prendre un numéro de passage aux machines qui le flanquaient de part et d'autre
C'était automatique il appuyait sur le bouton vert et il recevait son numéro
*
Heureusement la salle des pas perdus
Pour démontrer la bienveillance du gouvernement des Sombres envers les citoyens de l'empire
Était ouverte 24 H sur 24
Ce n'est que le lendemain qu'il parvint aux machines
*
Pour satisfaire leurs besoins chaque citoyen gardait la place de son voisin à charge de revanche
Des agents offraient de l'eau et des vivres à la foule
Quand il y avait quelqu'un pris de malaise ce qui arrivait souvent
Du fait de la compression subie
*
Il était transporté dans une infirmerie
Bien sur sa place était gardée jusqu'à son retour
Devant la machine Vocatus appuya sur le bouton vert
Il reçut son numéro
*
Au verso de celui-ci un petit texte le félicitait en lui indiquant
qu'il avait le numéro 000000000000011111111
Ce qui lui permettait d'être reçu au guichet dans 19 années 7 mois 18 jours vers 23h 59
Il fut effondré
*
Mais au recto il put lire qu'il y avait chaque jour plusieurs tirages au sort
Qui lui offraient la possibilité d'être admis immédiatement au guichet des renseignements
C'est par ce moyen que les Sombres rendaient une attente aussi longue
Soutenable par leurs citoyens dont ils démontraient une fois de plus leur grand intérêt
*
Aurait-il cette chance
Valait-il le coup d'attendre
Ne valait-il pas mieux repartir
Pour vivre avec Charmene fut-ce sans l'autorisation d'avoir un enfant
*
Et d'ailleurs qu'est-ce qui empêchait qu'ils aient un enfant
rien
Ils n'auraient qu'à garder secrète sa naissance
Mais ils le condamnait à vivre clandestinement et à risquer chaque jour d'être pris et emmené
*
En avaient-ils le droit
Leur désir égoïste l'emportait-il sur le bien-être de l'enfant
Certes s'il parvenait à l'âge de trente ans sans être démasqué
La prescription jouerait
*
Il serait reçu dans la communauté de l'Empire comme citoyen à part entière
De la caste des « tard venus » qui était réputée
Parce que ses membres étaient considérés
À l'instar de miraculés comme des porteurs de chance aux membres des autres castes
*
Vocatus décida de tenter le sort
Il aurait tout le temps de réfléchir et de se décider
Il se mit à attendre
Les jours se mirent de nouveau à couler
*
Seconde par seconde
Minute par minute
Heure par heure
Aussi lentement que possible
*
Mais aussi vides que possible
S'entassant les uns sur les autres
Tous les mêmes
Tous insignifiants
*
En fait disparaissant dans le non temps
Dans la non durée
Persuadant Vocatus que hier était aujourd'hui
Que demain serait aujourd'hui
*
Que hier n'existait pas
Que le temps n'avançait pas
Qu'il stagnait
Qu'il était dans une bulle de non durée
*
Une bulle qui s'évanouissait
Chaque fois qu'il tentait de la saisir
Ainsi le temps ne passa pas
Ainsi il ne sut plus où il en était de son attente
*
Quand son numéro fut tiré au sort
Il ne sut plus depuis combien d'années il attendait
Il fut rapidement orienté vers les bureaux qui s'occuperaient de son cas particulier
On s'étonna qu'il n'ait point reçu sa carte d'identité
*
Celle-ci lui avait bien été envoyée depuis une dizaine d'années
Comment se faisait-il qu'il ne l'eût point reçu
Il pensa qu'il avait dû la recevoir une fois son voyage entrepris
Devrait-il aller la rechercher et revenir
*
On lui fit une faveur
On le dirigea vers l'administration des autorisations
Il n'eut guère à attendre
Il avait de la chance
*
Il pensa qu'il ne cessait depuis quelque temps d'avoir de la chance
On venait de recevoir une liasse d'autorisation
L'empire ayant décidé d'augmenter la population par tout moyen
Étant donné que les cas de stérilité ne cessaient d'augmenter
*
Munie de son autorisation il s'empressa de prendre le chemin du retour
Il eut encore de la chance
Il ne dut attendre que quelques mois
L'autorisation de sortir de la capitale
*
Toujours chanceux il trouva en quelques mois une place dans un glisseur
Qui allait dans la contrée où il vivait
Sur la route les vents furent presque tous les jours contraires
Des pluies de cendres forcèrent les voyageurs à se réfugier chez l'habitant
*
Les jours y coulèrent encore plus lentement
Seconde par seconde minute par minute heure par heure
Ils disparaissaient dans le vide de la non-durée de sa mémoire
De voyageur impatient
*
Finalement le glisseur arriva à destination
Il faisait un jour sombre
Des nuages herculéens roulaient des muscles dans le ciel
Le rougeoiement de la forge lui apparut plus distinctement
*
Il avait éprouvé depuis quelques temps le besoin pour se déplacer de s'appuyer sur une canne
Il ne voyait plus très bien
Il sut donc que ce n'étaient pas ses larmes qui l'empêchaient de bien distinguer
Les deux silhouettes qui s'encadraient dans l'ouverture de la forge
*
Au fur et à mesure qu'il avançait avec la lenteur d'un vieillard
Il reconnut Charmene toujours aussi belle
Avec sa peau qui luisait aux flammes de la forge
Toujours aussi jeune
*
Mais qui était l' homme assez jeune qui se trouvait à ses côtés
Il ne le connaissait pas ne le reconnaissait pas
Son cœur au lieu de battre plus fort lui manquait
Il fut contraint de s'arrêter
*
Il sut qu'il touchait au but
Que sa vie s'enfuyait
Mais au moins il attendrait pour partir de prendre Charmene dans ses bras
Elle courait vers lui elle aussi avec lenteur
*
Aurait-elle le temps de le prendre dans ses bras
Son cœur au lieu de battre plus fort lui manquait
Elle dût s'arrêter
Il eut la force de reprendre sa marche vers elle
*
l'homme assez jeune avait rattrapé Charmene
Il la soutenait
Elle était toujours aussi belle
Sa peau était toujours aussi lisse
*
Il savait que c'était la caractéristique enviée par les femmes de l'empire
Les peaux chitineuses des femmes non conformes ne prenaient pas une ride
Après toute une vie
Ils s'enlacèrent
*
Il n'eut pas besoin de la questionner
Cet homme assez jeune qui à présent les soutenait tous les deux aussi légers que brindilles
Il savait qui il était
Il regretta de devoir partir déjà
*
Parce qu'il ne l'avait pas vu grandir
Qu'il ne savait pas s'il était suffisamment armé pour continuer la route à son tour
Parce qu'il laissait derrière lui Charmene
Dont il sentait les larmes glissaient sur le visage
*
Dont il respira une derrière fois le parfum
Qui le replongea
Dans leur vie
Si lumineuse d'avant
*